Mort à crédit au Théâtre Essaön

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Par Marie-Christine pour Carré Or TV

Céline plus vivant que jamais !

 

Aller voir Mort à crédit et se retrouver face à un comédien ressemblant trait pour trait à Céline provoque indéniablement un choc. Et lorsque l’on découvre que son patronyme sonne presque pareil — de la Tousche et Destouches — la perplexité atteint son paroxysme.

Pur hasard ? Ou clin d’œil du destin, plaçant ce comédien sur les traces de Céline ?

La rencontre de Stanislas de la Tousche avec l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline remonte à une vingtaine d’années. Depuis, avec son complice Géraud Bénech, il a adapté pour la scène plusieurs textes de l’auteur maudit.

Après Voyage au bout de la nuit — couronné par le prix Renaudot — Céline publie en 1936 Mort à crédit, vaste fresque de l’enfance et de l’adolescence de Bardamu, le héros du Voyage. Ce deuxième roman, à l’époque, fut mal reçu : la critique s’en détourna, et nombre d’écrivains ou philosophes influents le jugèrent comme un « torrent de boue ».

Même l’éditeur Denoël censura certains passages, les remplaçant par des blancs entre parenthèses, estimant que Céline s’abandonnait à la vulgarité et à l’obscénité.

Mais les années ont passé, les mœurs ont évolué, et le scandale a fait place à la reconnaissance. Céline est revenu dans la lumière — du moins pour une part grandissante du public.

 

Un Céline plus vrai que nature

 

Dans ce seul-en-scène, le narrateur — un homme âgé, manifestement l’auteur lui-même — est assis dans un fauteuil et répond aux questions d’un journaliste dont la voix émane d’un vieux poste de radio des années 1950.

Même dégaine, mêmes gestes, mêmes intonations : Céline est là, devant nous.

Comme dans Voyage au bout de la nuit, on croit à une autobiographie tant le ton paraît naturel. Le style parlé, cru, argotique, aux phrases hachées, recrée toute la verve célinienne.

Sans filtre ni pudeur, Céline évoque son enfance avec une fatalité morbide, se complaisant parfois à décrire son intimité : l’amour, le sexe, la mort… tout y passe. Il parle avec ses tripes, quitte à nous donner parfois la nausée.

Âmes sensibles, prenez garde : vous risquez d’être secouées !

 

Une enfance fracassée

 

Le récit nous plonge dans le Paris populaire de la fin du XIXe siècle — celui des petits employés, des boutiquiers, d’un peuple modeste et laborieux.

Fils unique, Céline décrit un père rédacteur dans une compagnie d’assurances, une mère tenant une boutique de dentelles dans le passage Bérésias, et cette grand-mère Caroline, figure protectrice d’une tendresse rare.

Mais l’enfance est marquée par la brutalité paternelle : un homme incapable de manifester la moindre affection, pour qui éduquer signifie frapper.

Les gifles et les coups rythment le quotidien. L’amour et la douceur n’existent pas, seule règne l’humiliation.

On est loin des préceptes modernes de l’« enfant roi » : aujourd’hui, ces comportements seraient qualifiés de maltraitance.

Plein de culpabilité, l’enfant Céline demandait sans cesse pardon pour échapper à la réprimande. Terrifié, il vivait dans un stress permanent, au point d’en perdre toute hygiène. L’auteur ne nous épargne rien, multipliant les détails scatologiques — souvent à la limite de l’obscène — mais le comique finit par l’emporter tant l’outrance devient burlesque.

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Une performance saisissante

 

La puissance narrative de ce roman noir est stupéfiante. On se laisse happer par ce qui semble être une autobiographie, alors qu’il s’agit d’une fiction où Céline grossit volontairement le trait — provocation assurée, évidemment.

Bravo à Stanislas de la Tousche, capable tour à tour de nous émouvoir, de nous faire sourire et même rire aux éclats.

L’épisode de la traversée de la Manche est un moment de théâtre inoubliable, tout comme l’expédition dans l’automobile de l’oncle Édouard, véritable régal pour le public.

L’outrance, portée par le talent du comédien, déclenche l’hilarité générale.

Et si vous souhaitez prolonger l’expérience, sachez que dans ce même théâtre Essaïon, Stanislas de la Tousche interprète également chaque lundi soir Céline, les derniers entretiens — un autre spectacle à ne pas manquer !

Extrait vidéo

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