Les Frères Karamazov au Théâtre de l’Odéon

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Par Sandra pour Carré Or TV

Puissant !

 

Quand Sylvain Creuzevault met en scène les Frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski, le public médusé adore ou ne le supporte pas. Stupéfactions, éclats de rire, tensions, les émotions s’enchainent. On ne sort pas indemne de cette exceptionnelle transposition du génie russe.

Après avoir adapté librement au théâtre le roman Les Démons (1871) du même auteur, puis avoir organisé des ateliers autour de Crime et châtiment et des carnets du sous-sol puis monté des scènes de L!Adolescent (1875) avec une troupe d’élèves comédiens et adapté le passage du « Grand Inquisiteur », Sylvain Creuzevault relève un nouveau challenge toujours plus grand en transformant Les Frères Karamazov en vaudeville corrosif.

Publié en 1880, suite aux romans Le joueur (1866), Crime et châtiment (1866) ou Les Nuits blanches (1848), Les Frères Karamazov sera l’ultime chef d’oeuvre de F. Dostoïevski. Une oeuvre de 1300 pages dans laquelle Sylvain Creuzevault va tailler pour en ciseler un bijou fantasque aux personnages tourmentés et aux résonances très actuelles.

Décor blanc minimaliste, néons et bancs de bois sombres, entre hôpital et couvent. Place à la rédemption. La pièce s’ouvre sur la visite de la famille Kazamazov au Staretz Zossima (admirablement incarné par Sava Lolov) sous perfusion. Le père Karamazov (interprété par Nicolas Bouchaud) est infect. Son irascibilité est telle qu’il parle sans interruption, vitupère contre l’un de ses fils et demande conseil sans en tenir compte. La famille se déchire autour de l’argent et des femmes. Craintes et violences se sèment scène après scène. Puis le père va mourir. Qui l’a assassiné ? Le pardon existe t-il encore ? Qui sont les victimes et le véritable coupable ? L!enquête autour du parricide nous tient en haleine durant plus de 3h.

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Le cadre est posé, l’ambiance sera électrique, les monologues et dialogues complexes et les gags décochés comme des farces nous atteindront sans prévenir.

Habités par leurs personnages, les comédiens passent d’un rôle à l’autre avec une fantastique fluidité.
Servane Ducorps qui joue Grouchenka, la mère Iossif et Mamounette, donne au personnage de Grouchenka une profondeur insoupçonnée. Elle oscille entre démonstration de fragilité et guerrière prête à tout pour défendre ses intérêts. Sa perversité n’est qu’apparente. Tout comme le jeu de dupes auquel chacun des protagonistes aspire.

Blanche Ripoche incarne tantôt le fils non reconnu rongé par la vengeance : Smerdiakov, tantôt Katerina. C’est le renversement de son personnage qui est le plus poignant. Trahie, elle trahit à son tour, sans égard pour la sentence.
Le sceptique et ténébreux Ivan Karamazov, interprété par le metteur en scène lui-même, s’insurge sur la question de l!existence de Dieu dans un monde où la souffrance atteint même les plus innocents : les enfants.

Coupable idéal débordant d’énergie et de vice, Vladislav Galard nous subjugue dans le rôle du fils Dmitri Karamazov. Et enfin Aliocha, le troisième frère, le médiateur mystique qui apporte les messages auprès des fiancées de Dmitri est incroyable de candeur.

Jeux de lumière, piano dans la fosse et nappes électroniques dissonantes jouées en live viennent appuyer le propos. Même l’entracte est créatif. Des lectures accompagnées de flute acoustique ajoutent de la douceur au burlesque ambiant.

On salue aussi les affichages sauvages qui ponctuent la pièce. « Je voudrais parler de Smerdiakov », « Si Dieu est mort, tout est permis » … sont affichées en lettres de papier sur les murs comme les phrases choc collées sur les murs des métropoles pour dénoncer les féminicides ces dernières années.

Enfin, nous saluons la caricature de la justice dans la dernière partie, avec l’incroyable plaidoirie de l’avocat Fétioukovitch au procès de Dmitri. Grinçante et hilarante.

On sort chamboulé.e.s de cette pièce. De véritables montagnes russes émotionnelles.

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