
Par Marie-Christine pour Carré Or TV
Bouleversant !
En décembre 1949, le Théâtre Hébertot présentait en avant-première la pièce d’Albert Camus, Les Justes, en cinq actes. Sur scène, trois immenses comédiens : Michel Bouquet, Serge Reggiani et Maria Casarès, le grand amour de Camus.
L’auteur s’inspire d’un fait historique : l’assassinat du grand-duc Serge, survenu le 17 février 1905 à Moscou.
Cette saison, la pièce est reprise au Théâtre de Poche Montparnasse, dans une mise en scène de Maxime d’Aboville. Metteur en scène mais aussi comédien, on peut également retrouver Maxime d’Aboville sur la même scène dans Histoire de France, de 1515 au Roi Soleil.
Quatre comédiens interprètent avec intensité les personnages de Camus :
Marie Wauquier, inoubliable dans Naïs de Marcel Pagnol, Arthur Cachia, cofondateur de la compagnie Les Fautes de Frappe, Étienne Ménard, que l’on a applaudi dans Pauvre Bitos de Jean Anouilh et dans Danton, les derniers jours du lion, dont il est l’auteur, et Oscar Voisin, remarquable interprète de Valmont dans Les Liaisons dangereuses mises en scène par Arnaud Denis.
L’action se déroule en Russie, en 1905, alors que le tsar Nicolas II règne depuis près d’une décennie sur un empire à bout de souffle. Les conditions de vie du peuple sont épouvantables. Face à la misère et à l’intolérance du régime monarchique, le socialisme monte en puissance. Les tentatives de soulèvement sont réprimées dans le sang.
Des groupes révolutionnaires se forment pour tenter de renverser la dynastie des Romanov. Parmi eux, Annenkov, chef d’un petit groupe socialiste-révolutionnaire, prépare un attentat contre le grand-duc Serge, oncle du tsar et gouverneur militaire de Moscou, connu pour son despotisme.
Dora, seule femme du groupe, est chargée de préparer la bombe à la nitroglycérine. Elle aime Kaliayev, à qui revient la lourde mission de lancer la bombe sur la calèche du grand-duc.
Stephan, le quatrième membre du groupe, est un révolutionnaire endurci, plusieurs fois arrêté, emprisonné et torturé. Devenu insensible, il incarne la froide détermination. Pour lui, la compassion n’a plus de place dans la lutte.
La date de l’attentat est fixée au 15 février 1905. Mais, au moment d’agir, Kaliayev renonce : il aperçoit dans la calèche les deux enfants du grand-duc et ne peut se résoudre à tuer des innocents.
Stephan s’indigne :
« Parce qu’il n’a pas pu tuer ces deux-là, des milliers d’enfants russes mourront de faim pendant des années encore ! »
Une question déchirante traverse alors la pièce : un révolutionnaire a-t-il le droit d’épargner des innocents au nom de la morale, ou doit-il se sacrifier pour la cause, quitte à tuer ?
Une seconde tentative a lieu le 17 février. Cette fois, le grand-duc se rend seul à l’Opéra. La bombe explose : le corps du grand-duc est déchiqueté. Kaliayev est arrêté et jeté en prison. Le directeur lui promet la vie sauve s’il dénonce ses camarades. Puis la grande-duchesse Élisabeth Fiodorovna, femme pieuse, vient tenter de lui faire exprimer des remords pour le sauver. En vain.

Kaliayev refuse de trahir. Il est pendu, convaincu d’avoir accompli son devoir.
Après son exécution, Stephan reconnaît en lui un véritable héros, tandis que Dora, animée par le même idéal, demande à participer activement aux futurs attentats.
Cette opposition entre Stephan et Kaliayev évoque bien sûr la rupture entre Camus et Sartre : Stephan, figure de Sartre, justifie la violence au nom de l’Histoire ; Kaliayev, double de Camus, croit encore à une révolution guidée par la morale.
Si la révolte est légitime, Camus rappelle que la haine et la violence gratuite détruisent la cause qu’elles prétendent servir.
Un message toujours d’une brûlante actualité.
La création sonore de Jason Del Campo accentue la tension dramatique : l’attente, la peur, la fatalité.
En fond de scène, la toile de Marguerite Danguy Des Déserts, familière du public du Théâtre de Poche, renforce cette atmosphère d’extrême gravité.
Les quatre comédiens livrent une interprétation d’une rare intensité, fidèle à l’esprit humaniste de Camus.
Un spectacle fort, bouleversant, à voir sans tarder.
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