Coups de coeur

Le jeu de l’amour et du hasard au Théâtre Le Lucernaire

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Par Marie-Christine pour Carré Or TV

Un classique moderne !

 

Oubliez pour quelques instants les décors classiques du 18ème siècle, façon « Fêtes galantes de Watteau », les vestes de brocart, les jupons et corsets ! Nous sommes bien au 21ème siècle avec une « Commedia dell’Arte » remixée.

Sur la scène du Lucernaire, les comédiens portent des salopettes et des brodequins, évoluant dans un décor très contemporain ; en revanche, le texte de Monsieur de Marivaux est respecté à la lettre par les comédiens du collectif L’Emeute.

Frédéric Charboeuf, assisté d’Antoine Legras, donnent au « Jeu de l’amour et du hasard » une saveur très actuelle, sucrée-salée, démontrant ainsi que le marivaudage, galvaudé parfois à tort par certains, n’est pas un style et une langue désuets, et que le badinage léger, charmant avec des formules parfois alambiquées, met au contraire en évidence les sentiments les plus enfouis des hommes et des femmes.

Ce dramaturge du siècle des Lumières est, selon le jargon actuel, un psychologue averti qui a su observer durant sa vie la société et décrypter les niches les plus intimes de ses contemporains. Il est le précurseur de la métaphysique du cœur.

« Le Jeu de l’amour et du hasard » peut s’inscrire parfaitement dans le contexte actuel : prendre la place d’un autre ou d’une autre pour démasquer les sentiments de la femme ou de l’homme appelé à partager prochainement notre existence. Bien que de nos jours, en Europe du moins, il n’y ait plus vraiment de mariages arrangés, avouez toutefois que le jeu en vaut bien la chandelle !

Marivaux a souvent utilisé ce stratagème dans plusieurs de ses pièces, donnant indéniablement une tournure comique faite de quiproquos et créant des situations absolument farfelues.

Nous assistons à une véritable satire sociale vue sous l’angle de la comédie, et les comédiens de ce collectif ne sont pas en reste pour nous le démontrer, déployant une énergie incroyable durant 90 minutes.

Le jeu de Lisette, joué par Justine Teullié en alternance avec Camille Blouet, et celui d’Arlequin, interprété par Denis Mader, tournent à la farce et s’inspirent pleinement de la comédie italienne ; nous rions beaucoup et en même temps nous sommes touchés par leur maladresse, leur candeur.

L’amour naissant entre eux les affole, ils n’ont pas le droit de s’aimer, les conventions sociales l’interdisent.

Entre Silvia, jouée par Lucile Jehel, et Adib Cheikhl, sous les traits de Dorante, c’est le coup de foudre, car avec Marivaux, l’amour explose tel un feu d’artifice, il vous atteint au plus profond de vous, et dès lors vous ne vous appartenez plus.

L’auteur donne le rôle le plus noble à Dorante, car lui ose le premier franchir les barrières dressées par les conventions sociales, ce qui n’est pas le cas de Silvia qui met plus de temps pour franchir le pas.

La femme de la « meilleure » société apparaît ainsi plus dure avec elle-même et moins disposée à surmonter la bonne morale, les conventions.

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À remarquer la prestation de Jérémie Guilain, le frère de Silvia : Mario, personnage totalement déjanté et excessivement drôle ! Comme toute bonne comédie, tout finit bien mais à quel prix !

Le spectacle donné par cette troupe de comédiens est un bouquet rafraîchissant, entrecoupé de mélodies très actuelles et très à propos ! Accentuant ainsi le caractère comique des situations vécues par ces deux couples travestis et si bien assortis !

Marivaux, précurseur de la Révolution Française et de l’abolition des privilèges, conserve même aujourd’hui une saveur très actuelle, avec une demande toujours plus grande du rôle de la femme dans notre société.

Pour ceux qui craignent de s’ennuyer en allant voir une pièce de plus de 250 ans, pour les lycéens qui viennent un peu forcés voir un classique inscrit au programme scolaire, n’hésitez pas, venez, vous allez avoir un vrai choc et vous allez adorer ! Bravo à cette troupe talentueuse et dynamique qui donne envie de revoir les pièces de ce grand dramaturge du 18ème siècle, dont Sainte-Beuve disait qu’il possédait une « sorte d’impertinence piquante ».

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