Un amour de Swann au Ciné 13 Théâtre

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Artistes : 

Alain Bouzigues et Valérie Decobert Isabelle Ferron, Louis Cariot, Salvatore Ingoglia, Sebastien Perez

A l’affiche :

Jusqu’au 30 décembre 2017

Lieu :

Ciné 13 Théâtre

1, avenue Junot

75018 PARIS

Réservation en ligne
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Par Ingmar Bergmann pour Carré Or TV

Magnifique, Proust pour tous !

Le piège de l’image.

L’amour et son reflet.

 

Qu’ils sont lointains, les amoureux des pièces de Molière qui, au dix-septième siècle, se battaient pour réaliser leur amour et leur désir, contre des parents aigris et autoritaires qui prétendaient les mettre au pas ; manipulant leur candeur, sans cesse, afin de mieux les posséder ! L’avènement de la bourgeoisie et de ses valeurs, après la Révolution Française, consacre les amoureux romantiques puis, leurs imitateurs, les amoureux neurasthéniques, qui aiment parce qu’il faut absolument être épris, quoiqu’il en coûte ; dès lors, les inclinations amoureuses deviennent otages de la tyrannie du conformisme social.

Dans le spectacle « Un amour de Swann », inspiré par l’opus éponyme de l’œuvre romanesque de Marcel Proust, le personnage de Charles Swann, interprété, avec beaucoup de grâce, par Alain Bouzigues, s’éprend donc de celui d’Odette de Crécy, interprété, avec justesse, par Valérie Decobert, une femme qu’il n’aime pas vraiment, car il est probable qu’il s’ennuie dans son milieu bourgeois et, aussi, car il est convenable d’aimer et d’être aimé, si l’on ne souhaite pas passer pour un marginal, dans ce même milieu bourgeois ; et c’est ainsi qu’il se prend rapidement au jeu de l’amour romantique et des blessures qu’il lui inflige, car la femme qu’il choisit, une demi-mondaine, se moque de lui, le méprise et le paie d’indifférence. Pourtant, s’il l’aimait au lieu de se figurer qu’il l’aime, il serait probablement moins manipulable ; et, s’il se refusait à aller avec une femme qu’il n’aime pas, il s’épargnerait le ridicule. Comme l’amour fait mal, on pense que se faire mal avec une femme est connaître l’amour. Affecter l’amour rend ridicule.

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Le sentiment et la comédie humaine.

 

Les soirées du mercredi, dans le salon du couple Verdurin, interprété par Isabelle Ferron et Louis Cariot, qui reçoit, entre autres, les personnages du docteur Cottard et de Monsieur de Forcheville, respectivement interprétés par Sébastien Perez et Salvatore Ingoglia, nous montrent une société de bourgeois arrivistes, mesquins et jaloux, qui maîtrise l’art de déblatérer sur les autres, passionnée par le « qu’en dira-t-on ? » et, dans ce spectacle inspiré par l’œuvre de Marcel Proust, cette peinture avertie du ridicule de la bourgeoisie, n’est pas sans nous évoquer, avant la lettre, celle que nous offrira, plus tard, Irène Némirovsky, dans certaines de ses œuvres telles que, notamment, « Le bal », un roman écrit en français et paru en 1930, dont nous avons pu apprécier la récente adaptation, sur la Scène du Théâtre Rive-Gauche, par les metteuses-en-scène Virginie Lemoine et Marie Chevalot.

Tous ces gens, que fréquente, d’abord assidûment, Charles Swann, afin de se rapprocher d’Odette de Crécy, communient complaisamment dans le mépris de la vieille noblesse à laquelle ils déplorent, secrètement et sans se l’avouer, de ne pas appartenir car, malgré la poussière et la décadence, son prestige est incomparable, mais une aristocratie déchue dans laquelle Charles Swann a, semble-t-il, des amis qui sont plus que des « relations » intéressées, ce qui n’est pas sans nourrir l’incompréhension et la jalousie du cercle Verdurin, qui confond l’amitié et son reflet, le savoir et son reflet ou, encore, la beauté et son reflet car, dans toute société, les « arrivistes » et les « parvenus » sont condamnés à l’imitation…

Le spectacle, adapté de l’œuvre de Marcel Proust et mis-en-scène, avec beaucoup de soin et d’élégance, par Nathalie Vierne, nous offre à voir, avec un regard acéré, plein de finesse et de subtilité, le bal des parvenus, des mondains et demi-mondains et, encore, des femmes entretenues, dont les comportements accusent tous la dictature de sociale de leur siècle, un siècle qui ressemble beaucoup au nôtre, en s’ébattant ou, si l’on ne veut pas les accabler : en se « débattant » dans des situations au cours desquelles l’ignorance-crasse est, parfois, revendiquée comme un trait d’esprit qui n’a d’égale que la vulgarité des donneurs de leçons qui se distribuent les premiers rôles de cette comédie humaine, laquelle nous invite surtout à prendre en pitié ceux de nos semblables qui n’affectent aucun recul par rapport au monde dans lesquels ils évoluent, au contraire du personnage de Charles Swann, qui est traditionnellement réputé être l’avatar de Marcel Proust, dont la lecture est essentielle, pour nous. Le véritable auteur, s’il en est, n’est-il pas celui qui offre à son lecteur de pouvoir faire un pas de côté, afin de considérer la réalité qui nous possède, et dans laquelle on évolue tous, entre bonheur et malheur ?

L’époque et la loi du plus fort.

 

Le Second Empire, la Troisième République, l’Empereur, le Président de la République, les hommes du passé qui ne passe pas, ceux du présent qui peine à advenir et se confrontent avec des armes inégales, notamment eu égard au prestige et à la légende dorée qui nimbe le souvenir des fantômes d’autrefois ou, encore, ceux qui sont, ceux qui ont été, sont autant d’évocations qui nous conduisent à nous interroger sur la marche du temps, sur la fragilité de notre situation, sur la petitesse et la vanité de nos ambitions, quelle que puisse être leur légitimité, qui n’est d’ailleurs pas nécessairement usurpée : voilà quelques-unes des considérations auxquelles nous conduisent les interprètes de ce spectacle inspiré de Marcel Proust.

Alexandre Dumas fils, « La Dame aux camélias », toutes les références et l’élitisme d’alors, tels qu’ils se manifestent notamment au Théâtre Français, à l’Opéra, à l’Opéra Comique ou dans tous les salons, ces lieux où la préciosité n’est jamais loin du ridicule quoique Molière ne soit plus là pour la pointer du doigt, participent effectivement à l’anecdote superficielle d’une époque aujourd’hui révolue ; pourtant, si les codes ont peut-être changé ou sont peut-être considérés, aujourd’hui, d’une manière qui se prétend plus nuancée, de même que les attitudes ou les pratiques disqualifiantes qui les accompagnaient alors, il n’en reste pas moins que les dilemmes et autres cas de conscience sont toujours les mêmes, et que l’aversion pour celui ou celle qui dérange, est intacte car, aujourd’hui encore, on se refuse toujours à seulement vouloir comprendre l’autre, qui est, par nature : étranger. Ainsi, le contexte proustien, même s’il est suranné, nous en dit long sur notre époque actuelle et sur son goût, probablement intemporel, pour la multiplication des cénacles les plus divers mais qui ont en commun la caractéristique essentielle d’être en rivalité permanente, les uns avec les autres. Après la Révolution Française et l’avènement des valeurs bourgeoises, chacun est devenu le concurrent de son voisin ; en cela, la société décrite par Marcel Proust n’a pas fini d’exister et, pour cette raison au moins, son œuvre n’a rien perdu de sa pertinence.

La condamnation morale, définitive et sans appel, de tous ceux qui ont des coutumes et des mœurs différents des nôtres, avec ce mélange d’envie et de jalousie pour ce qu’on pense qu’ils s’autorisent et qu’on ne s’autorisera jamais et, partant, avec notre méconnaissance absolue de tout ce qu’on ne comprend pas, qui nous incite à imaginer toujours le plus audacieux et le plus compromettant, car il y a de l’attractivité dans ce qui nous est répulsif, sont autant de traits d’une ancestrale stratégie qui, lorsqu’elle est maîtrisée, permet encore aux Verdurin de notre époque, de pouvoir tout tenter afin de détruire leurs rivaux et, quoiqu’il arrive, de nuire à leur prochain. Par exemple, le « saphisme » dont il est question, à plusieurs reprises, dans l’œuvre de Marcel Proust, n’est plus très souvent nommé en ces termes, aujourd’hui ; mais, sous couvert de tolérance, l’incompréhension et le mépris condescendant qu’il continue, encore, de susciter à notre époque actuelle, ne favorise pas l’harmonie entre la majorité et ses marges. On pourrait probablement adopter la même analyse au sujet des amours entre hommes ou de l’antisémitisme, autres phénomènes très largement évoqués et très abondamment développés par la langue sophistiquée de Marcel Proust. En dépit des beaux discours, notre société contemporaine ne respecte que la loi du plus fort.

Relisons « La recherche du temps perdu » sans prendre le temps d’hésiter ; le spectacle « Un amour de Swann », qui s’offre à voir actuellement, comme une variation sur l’un des opus d’une l’œuvre littéraire majeure, en constitue une introduction parfaite, légère et parfaitement enjouée qui plaira aux amateurs de théâtre autant qu’aux amateurs de Marcel Proust. Il est une porte d’entrée très accueillante d’un monument français qui n’est impressionnant et déconcertant qu’aussi longtemps qu’on s’acharne à le méconnaître.

2 plusieurs commentaires

  1. Cette adaptation avec la Langue,l’interprétation,la mise en scène et la touche d’humour rend Proust accessible àtous et donnerait envie de le lire. Bravo !

  2. Il faut avoir les épaules larges et une bonne dose de courage pour s’attaquer à une adaptation des presque intouchables romans fleuves de Proust. C’est bien tenté et pas mal réussi même s’il manque un peu de profondeur aux personnages, surtout Swann, ainsi qu’une ligne conductrice plus claire entre les scènes. Mais c’est quand même une joile piece.

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