Hard au Théâtre de la Renaissance

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Artistes : 

Nicole Croisille, Claire Borotra, François Vincentelli, Charlie Dupont, Isabelle Vitari, Stephan Wojtowicz, François Marielle, Sarah Gelle et Dany Verrissimo

A l’affiche :

Jusqu’au 13 janvier 2019

Lieu :

Théâtre de la Renaissance

20, boulevard Saint-Martin

75010 PARIS

Réservation en ligne
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Par Ingmar Bergmann pour Carré Or TV

Drôle et fin à la fois

 

LOIN DE LA TRAVIATA.

Actuellement à l’affiche au Théâtre de la Renaissance, et comme son nom permet de le supposer, « Hard » n’est absolument pas un spectacle pour les enfants ou, alors, pour les grands enfants, encore en mal d’être initiés et désabusés, qui survivent en chaque adulte… On y parle de « bittes » et de « fesses » tout le temps, mais d’une manière qui est très éloignée de la pédagogie d’un cours d’éducation sexuelle…

« BOY MEETS GIRL. »

Au-delà de la blague et du simple divertissement, car le Public rit beaucoup et passe une excellente soirée, « Hard » se veut probablement aussi une entrée en matière sur la question des travailleurs du sexe, quoiqu’elle y soit abordée de façon légère et récréative et, à ce stade, plutôt timide, voire : timorée car, au Théâtre aussi, la loi du marché impose de s’adresser au plus large public, qu’il ne faudrait pas effaroucher un samedi soir. Malgré quelques allusions discrètes et périphériques au lesbianisme et à la réalité du désir des vieilles personnes, ce spectacle offre une vision très « normale », pour ne pas dire : « normalisante » d’un désir adulte parfaitement conformiste et, nécessairement, prioritairement « hétéro-centré », autrement dit : à mille lieues de la variété, de la multiplicité et du foisonnement des aspirations polymorphes des sens des individus qui composent notre société. Même si, dans ce spectacle, la liberté de ton est indéniable, on est très loin, aujourd’hui, du salutaire « jouir sans entraves » encouragé par les mouvements de Mai Soixante-huit, et la question du sexe politique pourrait être approfondie. À quand la pièce de théâtre qui portera sur la question de la prostitution, féminine autant que masculine, mais sans le misérabilisme moralisant de « La Dame au Camélia » ?

Photo tous droits réservés Fabienne Rappeneau. Toute diffusion, reproduction, utilisation interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans les domaines d’Éros, la difficile harmonie entre la fantaisie, le plaisir, le désir, l’argent, le commerce, les affaires : quoique ces thématiques soient abordées un peu rapidement, il est possible de voir le spectacle « Hard » et de s’interroger philosophiquement, en même temps, sur les passions humaines qui agitent notre société. Le questionnement est présent.

Peut-on aimer celui ou celle qui a fait de l’amour un métier ? Peut-on aimer celui ou celle que l’on paye pour avoir de l’amour ?

« TOUT FINIT PAR DES CHANSONS. »

Malgré le long égarement que constitue l’intrigue dans les domaines de l’érotisme payant, tout finit par rentrer dans l’ordre : un homme aime une seule femme, une femme aime un seul homme ; et le plus grand danger pour cet amour en miroir narcissique aura été le désir d’une tierce personne, un écueil dont on se préserve par dérision, en refusant de l’appeler « amour », et après l’avoir qualifié de « jaloux », donc : illégitime.

Revenue, saine et sauve, des turpitudes induites, inévitablement, par l’égarement volontaire dans la trivialité du plaisir tarifé, étrange descente aux Enfers de nos étranges Orphée et Eurydice contemporains, la relation consacrera donc le triomphe d’un couple monogame et exclusif, perpétuellement assimilé au seul triomphe possible de l’amour : on comprend alors que tout le reste n’était que pour rigoler, le temps d’un moment d’égarement duquel on peut recommencer à détourner les yeux lorsque le rideau tombe.

Autrement dit : une fois qu’on a bien ri, le monde de la pornographie et de ceux qui la font, est condamné à retourner dans le placard capitonné, débordant du mauvais goût des strass et paillettes. Pour cette raison, le Spectateur de Théâtre se doit de rester vigilant. Si l’on n’y prend pas garde, ce spectacle peut passer pour une parenthèse enchantée servant à émoustiller les bourgeois le temps d’une soirée entre amis sortis sans les enfants, qui retournent ensuite à leur existence ordinaire avec le réconfort de penser que leur vie pleine d’envies inassouvies est préférable à toute expérimentation audacieuse. Si l’on n’y prend pas garde, ce spectacle peut passer pour une soupape permettant d’entretenir l’ordre social non pas en faisant réfléchir le citoyen, mais en le confortant dans sa médiocrité imposée comme, autrefois, les excès du carnaval inversaient, une semaine par an, les hiérarchies sociales, afin de mieux les légitimer durant les cinquante-et-unes autres, ensuite.

« ILS SE MARIÈRENT ET EURENT BEAUCOUP D’ENFANTS. »

Peut-être est-il intéressant de considérer qu’un spectacle comme celui-là est un prélude à beaucoup d’autres ?

Lors de la saison dernière, on pouvait voir « L’opéra porno », de Pierre Guillois, au Théâtre du Rond-Point (direction Jean-Michel Ribes). Tous ces spectacles parlent de sexe ; c’est une bonne chose d’en faire un sujet public mais il nous paraît encore insuffisant d’en parler si légèrement, comme s’il ne pouvait s’agir que d’une distraction. Est-ce novateur et audacieux ? C’est encore assez difficile à dire car : tant qu’on n’admettra pas que le désir et le plaisir ne sont pas nécessairement qu’une distraction pour respirer entre les choses sérieuses mais, potentiellement, aussi un sujet sérieux, indépendamment du fait qu’il s’agisse d’un ressort économique qui fonctionne bien, on continuera de passer à côté de l’essentiel.

Sur la Scène du Théâtre de la Porte Saint-Martin, immédiatement voisin, dans la mise-en-scène de Peter Stein, on joue actuellement « Le Tartuffe », de Molière, évoquant aussi, quoique dans un tout autre style, et en alexandrins, le désir contraint ou contrarié des jeunes et des moins jeunes, et la violence morale et sexuelle résultant de l’avènement du fanatisme religieux, toutes obédiences confondues, une réalité actuelle particulièrement préoccupante.

Trois esthétiques théâtrales que tout sépare, nous parlent de l’urgence d’ouvrir les yeux sur nos préjugés.

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