C’est un songe d’une nuit d’été au Théâtre Clavel

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Artistes : 

Julie Amiel, Clément Billard, Jean-Marc Dethorey, Mathieu Foric, Nicolas Guignon, Régis Herbuveaux, Marion Isvi Franck Isoart, Léa Malassenet, Rita Neminadane, Vincent Noutary, Patrick Rubat du Mérac et Kim Tassel

A l’affiche :

Jusqu’au 10 juin 2018

Lieu :

Théâtre Clavel

3, rue Clavel

75019 PARIS

Réservation en ligne
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Par Ingmar Bergmann pour Carré Or TV

Ou l’art de dépoussiérer

Shakespeare !

 

Aimons-nous follement !

Un été, le temps d’une nuit ensorcelante qui ressemble à un rêve, deux couples éperdus d’amour se mélangent, s’attirent et se détestent passionnément, le Roi des Elfes et la Reine des Fées se perdent et se retrouvent après avoir frôlé le pire, un esprit malicieux et coquin aggrave les problèmes qu’il était sensé régler, et une troupe de mauvais comédiens, métaphore de notre pauvre humanité qui s’illusionne, prépare un spectacle avec des moyens de fortune pour le mariage du Prince.

A la fin, l’ordre est rétabli, pour le meilleur et pour le pire, mais ce n’est plus l’objet de cette pièce ; il y a tant de théâtre à écrire, ensuite…

A l’issue de la représentation du spectacle « C’est un songe d’une nuit d’été », d’après William Shakespeare et adapté par Stéphane Botti, au Théâtre Clavel (direction Pascal Martinet), nous prenons un verre avec une partie de l’Equipe et, notamment, le metteur-en-scène Christophe Botti et le comédien Clément Billard, qui partagent leurs impressions avec nous, évoquant la manière dont ils ont vécu cette expérience artistique, leur enthousiasme tout au long de cette aventure, et les mille-et-une questions soulevées par l’œuvre intemporelle du dramaturge anglais, qui nous interpelle avec nombre des thèmes qu’il porte à notre attention, tels que l’amour, la folie ou, encore, la magie qui nous entraînent irrésistiblement.

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Quel beau voyage !

 

Ingmar Bergmann  : Christophe Botti, pouvez-vous nous parler de votre parcours, jusqu’à aujourd’hui ?

Christophe Botti : J’ai fêté, l’année dernière, mes vingt ans d’écriture théâtrale donc, ce soir, c’est une pièce qui n’est pas de moi mais, la plupart du temps, j’ai mis en scène mes propres textes, donc j’ai deux parcours qui se croisent, d’auteur et de metteur-en-scène, parfois je mets en scène les textes des autres, très souvent, je mets en scène mes propres textes. Si je devais donner quelques jalons, comme ça, du parcours, je parlerais forcément de « Un cœur sauvage » (2005, ndlr), il y a une douzaine d’années, une pièce qui fait partie d’une trilogie qui a souvent été reprise depuis, donc qui a une certaine importance, dans mon parcours, aussi parce qu’elle a été éditée en dvd, qu’elle a été beaucoup vue, et qu’elle m’a mis en contact avec un public de province qui m’a contacté via Internet, et qui a continué de me suivre. Je parlerais de « Frères du bled », que Thierry Harcourt avait mis en scène au Vingtième Théâtre (direction Pascal Martinet, 2011, ndlr), qui est une pièce importante, aussi, pour moi, je parlerais de « Sous la varangue » (2013, ndlr), que j’ai été monter à l’Ile Maurice et que j’ai montée au Musée des Confluences, à Lyon et, si j’essayais de trouver un point commun, entre toutes ces pièces, depuis vingt ans, ce serait des thématiques, qui seraient, d’abord : comment on vit, les uns avec les autres, aussi bien dans le couple que dans la famille, qu’au niveau d’un pays ; et, ça, on a pu le voir dans la précédente création, « Exil, exil » (2012, ndlr), qui parlait des Sans-papiers, donc la question de comment on vit les uns avec les autres, et puis je pense, aussi, un questionnement sur la différence, sur les particularités, sur l’intégrité, sur ce qui fait notre personnalité et ce qui, parfois, nous rapproche ou nous éloigne des autres, sujet concomitant avec ce que j’ai donné en premier. Voilà mon parcours qui est, aussi, à côté, un parcours pour la télévision et le cinéma, et puis un parcours de formateur, puisque depuis sept ans, maintenant, j’ai des ateliers d’écriture et de jeu et, ce que vous avez vu, ce soir, « Le songe d’une nuit d’été » est ma première excursion dans le classique et, aussi, le résultat d’un atelier, avec des comédiens qui sont soit des jeunes comédiens en cours de professionnalisation, soit des comédiens plus âgés qui n’ont pas choisi de se professionnaliser, qui ont un autre métier à côté, mais qui sont des fous de théâtre, des mordus de théâtre et, avec ces groupes qui sont, généralement, composés d’une douzaine de personnes, j’essaie de créer comme si je créais avec des professionnels, donc j’apporte un budget pour les décors, un budget pour les costumes et je les dirige comme je dirigerais des professionnels, et j’essaie d’être exigeant avec eux, de la même manière, et je dois dire que je m’éclate, avec eux, parce qu’on fait, on crée, on passe d’une aventure à une autre, et on n’arrête pas. Là, on a quatre pièces en même temps, cette année, qui vont se jouer en deux mois, c’est une sorte de folie furieuse, parce qu’une première laisse la place à une autre première, un montage à un autre montage, une répétition à une autre, et c’est du non-stop et je vais sortir épuisé de ça mais j’aime bien cet épuisement parce que je le trouve créatif, et j’ai l’impression de m’entraîner, en fait, en permanence. Voilà, pour répondre à la question longuement.

Ingmar Bergmann : Pourquoi avoir choisi d’adapter le théâtre de William Shakespeare ; qu’est-ce qui vous a intéressé particulièrement dans cette œuvre, éditée en 1600, quelques années après avoir été créée ?

Christophe Botti: J’ai toujours eu envie de monter Shakespeare, pour deux raisons. La première, c’est que, quand j’ai commencé le théâtre à seize ans, la première « vraie » pièce de théâtre que j’ai vue, c’était « La tempête », mise en scène par Peter Brook, aux Bouffes du Nord (1991, ndlr), et c’est à ce moment-là que j’ai compris. Moi, j’ai toujours eu la chance d’être dans une famille et dans un milieu où on m’emmenait au théâtre. On m’envoyait plutôt voir « Envoyez la musique », d’Annie Cordy (1982, ndlr) que Peter Brook, et j’adore Annie Cordy, je l’ai rencontrée, ça fait des années que j’essaie de monter des projets avec elle. Ça restera en moi, cette culture-là, je ne la renie pas du tout ; mais, quand j’ai vu Peter Brook, je me suis dit : « ah, le théâtre, ça peut aussi être ça ! » donc, pour moi, Shakespeare, c’est un élément déclencheur. Au même moment ou, peut-être, deux ans plus tard, il y a un film, qui est sorti au cinéma, qui s’appelait « Le cercle des poètes disparus » (réalisation Peter Weir, 1989, ndlr), qui est aussi un film qui a énormément compté, puisque, quand je l’ai vu, j’ai compris que, contrairement au héros du film, je ne me suiciderais pas, je ferais du théâtre, même si mes parents n’étaient pas d’accord, et c’est ce que j’ai fait ; donc, monter « Le songe », puisque j’ai fêté mes vingt ans d’écriture, c’est encore me retourner sur vingt ans en arrière, sur le moment des grands choix fatidiques. L’intérêt, pour moi c’est, aussi, d’essayer de transmettre à d’autres, à mes élèves-comédiens et au Public, le coup de cœur que j’ai eu pour cette œuvre ; qui plus est, elle parle de choses qui m’intéressent beaucoup : l’amour, et j’en parle dans toutes mes pièces, il y a toujours des histoires d’amour, impossibles ou pas, et la magie du « Songe », la magie de ce personnage de « Puck », qui me permettent d’aller explorer des univers visuels et musicaux que je n’ai pas l’habitude d’explorer.

Ingmar Bergmann  : Pourquoi avoir changé le cadre historique, géographique et social du « Songe d’une nuit d’été » de William Shakespeare, et avec qui avez-vous travaillé pour cela ; y a-t-il eu des collaborateurs spécifiques ?

Christophe Botti : D’abord, j’ai pris comme texte, une version du « Songe » que mon frère jumeau, Stéphane, a retravaillée. Il l’a raccourcie, parce que la pièce peut durer trois heures ; là, on est sur une heure quarante, mais il y a trois heures de pièce. Il a essayé de moderniser le langage, sans que ça soit trop moderne mais, en tout cas, qu’on ait l’impression de le comprendre un peu plus aisément et, ensuite, en discussion avec lui, on s’est dirigés vers la Polynésie, d’abord parce que le « Songe » est énormément monté, et c’est une des raisons pour lesquelles, dans mes ateliers, je monte toujours des auteurs contemporains ou mes propres pièces ; mais c’est, aussi, pour le plaisir d’apporter de la nouveauté. Là, on va sur un terrain qui a été extrêmement fouillé, par tout le monde, et par les plus grands, on ne peut pas rivaliser, par rapport à certaines mises-en-scène, donc on cherche la singularité. Je suis fou de la Polynésie, c’est un endroit où je rêve d’aller, et je lis des choses, depuis des années, à ce sujet-là ; ça m’excitait, de mettre de la Polynésie, dans cette œuvre, ça m’excitait, que le rêve soit lié à mon rêve qui est un rêve d’îles. Ce n’est pas pour rien que j’ai été monter une pièce à l’Ile Maurice ! J’aimais penser à « Sa majesté des mouches » de William Golding (1954, ndlr), à la conque qui est dans mon spectacle, je voulais trouver cet univers-là, ça me semblait cohérent, parce que l’univers des rêves n’est jamais très loin dans la culture polynésienne ; les dieux sont là, c’est très poreux, entre le monde des dieux et le monde des vivants, comme dans la pièce de Shakespeare, la plupart des dieux qui sont cités dans Shakespeare, peuvent être transposés dans l’univers polynésien. L’univers me faisait rêver, mais ça me semblait tout à fait possible et original de le faire. Quant aux collaborateurs, c’est aussi parce que je travaille avec plusieurs scénographes et, en particulier, avec Julien O depuis quatre ans, je trouve qu’il a une vision graphique de la scène, et je savais que ça serait intéressant de l’emmener aussi en Polynésie, quelque-chose qui n’est pas évident, pour lui. Quand on voit le spectacle et sa scénographie, on constate qu’il n’a pas du tout essayé de me refaire la Polynésie : je n’ai pas de forêt polynésienne, je n’ai pas de plage ; j’ai une forêt inversée, c’est l’idée : j’ai un arbre qui est à l’horizontale au lieu d’être à la verticale (si je ne dis pas de bêtises) ; c’est aussi ce lieu de passage entre le réel et le songe, et il n’y a pas de forêt ! Il y a trois coquillages qui se battent en duel, et des coquillages dans les costumes, et les costumes sont très ethniques, et pas seulement polynésiens donc, vraiment, on est dans un songe scénographique, géographique, plus encore qu’un songe polynésien, dans les costumes.

Ingmar Bergmann  : Quelles difficultés avez-vous rencontrées sur ce projet, en tant que metteur-en-scène ?

Christophe Botti : D’abord, des choses techniques, de dernière minute : un comédien, qui est un comédien fidèle de la Compagnie, qui a été hospitalisé, et qui a préféré qu’on le remplace, deux semaines avant la Première, donc on appelé quelqu’un d’un autre atelier, qui est venu et qui a fait le boulot, de façon remarquable je trouve, des problèmes de décors, de livraison de décors : un arbre qui est arrivé cassé en deux, et qu’il a fallu changer ; mais, bon, ça : c’est de la bagatelle ! En vrai, ce n’est pas ça, les vrais problèmes ! Les vrais problèmes, c’est de rendre intelligible un texte qui, au final, n’est pas facile du tout, et de le faire faire par des comédiens qui ne sont pas tous des professionnels, et de les amener à comprendre ce langage particulier et, parfois, en tant que metteur-en-scène, aussi, de faire un travail de clarification de certaines répliques qui, comme ça, quand on lit, une fois, la pièce, rapidement, on dit : « ah, oui, on comprend » mais, quand on les joue, parfois, on doit creuser et chercher, et c’est plutôt sur le sens qu’on a un vrai travail à faire, avec Shakespeare.

Clément Billard  : On a passé de nombreuses répétitions, après plusieurs lectures du texte, à comprendre ce que voulait dire telle ou telle réplique, et à comprendre à qui elle était destinée et, parfois, même, à réécrire deux ou trois répliques, pour qu’elles soient intelligibles, en termes de diction, et qu’elles soient, aussi, plus aisées à comprendre pour le spectateur.

Christophe Botti : Il a fallu faire des choix ; parce qu’en fait, je ne vais pas vous l’apprendre, mais on peut interpréter une pièce comme on veut et, donc, certaines répliques peuvent être jouées d’une manière ou d’une autre, donc, faire des choix, et essayer que ces choix soient cohérents, et que les personnages soient cohérents du début jusqu’à la fin. Alors ça, c’est vraiment la magie du texte, en règle générale, mais du texte classique tout particulièrement, c’est cette possibilité qui est offerte, au comédien, de rajouter du sous-texte, et de donner un sens différent de ce qui a été à la première lecture et, ça, ça pourrait donner lieu à un travail infini. On pourrait, en permanence, retravailler et essayer de comprendre. On est dans un temps très limité, parce qu’on monte les pièces, dans les ateliers, en quatre-vingt-dix heures, peut-être, quelque-chose comme ça, en se voyant cinq heures tous les quinze jours, donc ce n’est pas simple, comme rythme de travail ; si, parfois, on fait un week-end, mais on n’est jamais dans « on se voit pendant une semaine, sept heures par jour », donc il y a aussi ça : ça repose, ça repart, ça repose, ça repart et, en plus, je consacre un temps de travail sur des choses techniques, sur les émotions, etc. Du coup, la vraie gageure, c’est de réussir à monter un Shakespeare le temps d’une année d’atelier. On a des contraintes, et il faut faire avec.

Ingmar Bergmann  : Avec quelle traduction avez-vous travaillé ?

Christophe Botti : On a travaillé sans aucune traduction connue, parce que mon frère a repris le texte ; il est parti, à la base, d’une traduction qui datait du dix-neuvième siècle, et il a relu la pièce dans une dizaine de versions et, ensuite, en se détachant de sa lecture, il a réinterprété le texte, je ne vais pas dire qu’il a retraduit, parce qu’il ne parle pas l’anglais du seizième siècle, mais il a rendu une voix qui est sa voix à lui de Shakespeare, donc c’est une version que personne d’autre n’a. Ce n’était pas pour moi. A la base, c’était lui, qui voulait le monter, et puis mon frère a créé une compagnie en Région donc, pour l’instant, il ne travaille que sur le jeune public, donc je lui ai gentiment demandé s’il acceptait de me donner son Shakespeare, et il a accepté.

Ingmar Bergmann  : Est-ce que vous pouvez nous parler de l’équipe artistique qui est rassemblée autour de vous ?

Christophe Botti : J’ai une assistante à la mise-en-scène, Françoise Lévesque, qui est mon assistante depuis maintenant quatre ans, et qui fait plus que le boulot d’une assistante, parce que, je ne sais pas comment ça se passe pour autres metteurs-en-scène et peut-être qu’ils ne disent pas la réalité, mais elle est tout à fait apte à prendre un groupe de comédiens et les faire travailler sans moi, et elle le fait. On sait ce qu’on a envie d’obtenir, et c’est une bonne directrice d’acteurs, donc elle va creuser certains points quand, parfois, le groupe est réuni, qu’il y a douze personnes, et que je ne peux pas passer trois heures sur une scène, elle le fait. Elle est très proche de moi, à tel point que, l’année prochaine, je pense qu’on va mettre en scène ensemble, pour récompenser son travail et sa fidélité, parce que, aussi, j’aime retenir les gens qui sont doués, et qui sont fidèles, et les mettre en valeur. Il y a Julien O ; le scénographe, qui travaille avec moi depuis « Power lunch », d’Alan Ball (2014, ndlr). C’est tout, c’est une équipe assez réduite. La plupart des musiques sont des musiques polynésiennes traditionnelles, dans plein de versions différentes, que j’ai trouvées dans plein d’endroits, mais c’est mon travail, et les lumières, c’est Nicolas Laprun, qui travaille aussi, avec moi, depuis quatre ou cinq ans, qui fait tous mes spectacles d’ateliers ou professionnels, qui est un garçon super. J’aime bien les gens très autonomes, j’aime bien, à un rendez-vous, dire ce que je veux, qu’on se revoie au rendez-vous suivant et qu’il me fasse des propositions, que je valide, généralement à soixante-dix pour cent, parce que je sais, parce qu’on se comprend. J’aime ce qui est très fluide, et j’aime donner de la responsabilité aux autres, c’est même mon but : réussir à être entouré de gens qui sont responsables à tel point qu’on se dit quelques petites choses, on se comprend et, après, on monte ensemble le tricot. Evidemment, on se voit plusieurs fois, en amont du jour des lumières, on réfléchit, on discute au sujet des différentes ambiances, on se fait des propositions, on se fait des demandes ; mais, le jour du montage, c’est le créateur-lumière qui fait ses propres lumières, et je donne mon avis, je dis juste : « un peu plus de vert », « monte un peu », mais je sais que Nicolas va me faire ce que je veux. Il est super. Un tout petit groupe solide.

Ingmar Bergmann  : Que souhaitez-vous communiquer au spectateur de cette pièce, et qu’est-ce qui va le surprendre ?

Christophe Botti : Je pense qu’il va être surpris par l’univers visuel, déjà. Je pense qu’il est beau, qu’il est cohérent, qu’il est entraînant dans un monde de songes. Ce que j’ai envie de lui communiquer, c’est un message que je passe souvent, c’est la puissance de l’imagination, et la puissance et la faiblesse de l’amour, l’amour qui me semble être un des plus importants sentiments mais aussi un des plus volatiles, donc c’est donner aux gens l’excuse de ne plus aimer ou, au contraire, d’aimer follement. Il n’y a pas d’autre morale, pour moi, dans cette pièce. C’est d’ailleurs très compliqué de comprendre ce que Shakespeare veut dire. Je me suis posé la question des dizaines de fois, parfois pendant les répétitions, en me disant que je me perdais, que je ne savais plus ce que je racontais, puisque la pièce n’est pas très claire, au final, là-dessus : les amants s’aiment follement, mais il suffit d’une potion magique pour les séparer, et puis finalement, ils vont se marier avec ceux qu’ils veulent ; qu’est-ce que ça veut dire d’autre sinon que l’amour est quelque-chose de très éphémère dont il faut profiter au moment où on l’a, et qui nous dépasse, sur lequel on n’a pas de prise, car ce n’est pas nous qui décidons ?

Clément Billard : Là, typiquement, c’est Dieu qui décide ou non que tel et tel personnages doivent s’aimer ou non ; c’est vraiment au gré des envies de chacun, non au gré de ses besoins, mais au gré de ses envies.

Christophe Botti : Bien sûr, mais on pourrait aussi en faire une lecture beaucoup plus moderne, contemporaine, freudienne, et imaginer que les personnages « d’Obéron » et de « Titania » sont le « moi » et le « sur-moi » ; c’est tout à fait possible, ça fonctionne aussi, et imaginer que le personnage de « Puck » est le « ça ». Ça, c’est l’une des spécificités, aussi, de mon « Songe » : c’est d’avoir deux « Puck » ; je l’ai dédoublé. Je suis jumeau, donc il y avait pour moi, aussi, une version gémellaire de « Puck » mais, aussi, une version freudienne. Le double, les deux « Puck », qui vous entraînent. Pour moi, c’est un personnage que j’adore, dans « Le songe d’une nuit d’été », si je devais y jouer un rôle, je jouerais « Puck », je voudrais jouer « Puck » ; je ne dis pas qu’on me le donnerait, mais j’adore « Puck » parce qu’il est méchant, il est méchant, mais gentiment, et ce mélange de méchanceté, de plaisir à faire des petites vacheries, est très loin de moi, dans la vie de tous les jours, parce que je pense que je suis un gentil, je crois, mais j’aime bien ça : cette noirceur qu’on pourrait s’autoriser, et qui pourrait, quand-même, être pardonnée, à la fin de la pièce.

Clément Billard : Christophe a parlé du double, et je pense que c’est un élément hyper important, parce qu’il faut savoir aussi que le double, dans la littérature anglaise, c’est un thème qui a été extrêmement repris à l’époque classique, et puis à l’époque un petit peu plus contemporaine, et le fait que tu aies dédoublé « Puck » est, aussi, une façon de montrer le merveilleux, de montrer quelque-chose d’inaccessible, d’intangible.

Christophe Botti : C’est joliment dit, Clément… Pour moi, le double, ça me passionne, dans les pièces importantes de ma vie. J’ai monté une pièce avec mon frère jumeau, qui s’appelait « Doubles ou l’incroyable histoire de Robert et Louis, les frères siamois » (2007, ndlr), qui est la dernière pièce que j’ai jouée, il y a plus de dix ans, où on était attachés par le dos, et on racontait la séparation et, évidemment, c’était une métaphore de notre séparation de frères jumeaux, mais c’était aussi une métaphore de la séparation du couple fusionnel, qu’il soit mère-fils, père-fille ou amants, parce que j’ai cru, pendant longtemps, que l’amour, c’était la fusion, entre autres parce que j’étais jumeau, et que, dans l’autre partie de mon existence, je tends à tout, sauf à la fusion. J’ai envie d’aimer sans être dans la fusion, et je trouve que c’est même plus puissant d’aimer quand on n’est pas dans la fusion ; mais, dans le cas de « Puck », il y a deux « Puck » et, eux, c’est l’amour fusionnel. C’est aussi, comme ça, cet amour surpuissant, qui crée du malheur, en fait. La fusion, pour moi, c’est une malédiction, ce n’est pas une bénédiction, c’est la fin de l’unicité de l’être, et on ne doit pas rêver de ça, enfin je ne vais pas dire aux autres ce qu’ils doivent faire mais, en tout cas : je ne veux plus rêver de ça, je cherche à être moi, et seulement moi.

Ingmar Bergmann  : Est-ce que ce spectacle a un avenir ?

Christophe Botti : C’est une question intéressante. Moi, à partir du moment où on va jouer neuf fois le résultat d’un atelier de création, je peux m’arrêter là, je suis satisfait. Après, je ne sais pas. L’année dernière, on a monté « Noël en famille… ou pas ! » et, en ce moment, je suis en train d’en préparer une adaptation pour le cinéma. Je ne sais pas si les comédiens de ma Compagnie, de mes Ateliers, se retrouveront dans le film, en tout cas, c’est sûr que la majorité n’y sera pas, même si je vais peut-être pouvoir en garder un ou deux ; mais l’industrie du cinéma fait que ce n’est pas possible. On vient de jouer « Exil, exil », la semaine dernière, il n’y a eu que trois représentations, cette pièce parle des Sans-papiers, et il y a un grand festival, organisé par la Cimade, qui est une association qui aide les Sans-papiers, dans lequel on va jouer bénévolement. « Le songe », je ne sais pas. Ça va dépendre du Public, s’il y a beaucoup de monde, si on nous demande de le reprendre, c’est envisageable de refaire des dates. Après, ce n’est pas exploitable professionnellement, parce qu’ils sont plus de dix sur scène, donc : qui va prendre un spectacle avec dix comédiens qui, dans leur majorité, ne sont pas « repérés » (je n’ai pas envie de dire le mot « connus »), aujourd’hui ? C’est compliqué. L’avenir est dans les trois prochaines semaines et, après, on verra. L’avenir est dans le groupe, tel qu’il est, et les projets qui vont naître. Par exemple, dans quinze jours, on monte une pièce qui s’appelle « Cœur’elles », il n’y a que quatre comédiennes dans ce projet. C’est un projet qui est issu de mes ateliers, mais le format à quatre comédiennes qui, elles, ont l’intention de faire ce métier, c’est l’idée que d’un atelier, on peut basculer vers quelque-chose qui soit purement professionnel ; mais, là, à douze sur scène, on va dire que c’est une carte de visite pour chacun d’eux ou, en tout cas, une étape dans leur parcours professionnel : ils ont joué un classique, ils ont joué un Shakespeare, ils ont été mis en scène par un metteur-en-scène dont c’est le métier, après, c’est à eux de creuser leur voie.

Ingmar Bergmann : Que puis-je dire à mon entourage pour lui donner envie de voir ce spectacle ?

Christophe Botti : Vous pouvez lui dire qu’il va passer une soirée exotique et inédite, lui dire que Shakespeare, c’est tout sauf ennuyeux, que Shakespeare, c’est de la magie, c’est de l’amour, c’est des rires, lui dire que c’est un spectacle coloré et vivant, lui dire que c’est un spectacle où on sent que les comédiens ont du bonheur à être sur le plateau, en tout cas j’espère, ce qui n’est pas toujours le cas avec les spectacles purement professionnels, parce que, parfois, c’est devenu un métier et que, pour chacune des personnes qui est là, ce soir, et je leur souhaite que ça reste comme ça s’ils deviennent professionnels et qu’ils ne font plus que ça : c’est seulement le bonheur d’être avec d’autres gens, sur le plateau, et de partager cette aventure, et c’est ça, qui est magique, pour moi, qui suis dans le réseau professionnel depuis vingt ans, c’est que, même, parfois, je n’ai plus envie de me battre, à monter des projets dans des grands théâtre, ou avec des gens « connus », même si, en termes de reconnaissance, c’est sans doute plus valorisant mais, avec eux, c’est du bonheur, en fait, parce que les gens qui sont là, sont là pour le plaisir et pas pour d’autres raisons, pas pour des raisons d’ego ; donc, c’est aussi dire aux gens : venez voir une troupe qui s’éclate sur le plateau et, ça, ça n’a pas de prix, parce que, même s’il y a sans doute des défauts, il y a, avant tout, de l’amour.

Ingmar Bergmann : Quels sont vos projets artistiques de la saison à venir, en tant qu’auteur et en tant que metteur-en-scène ?

Christophe Botti : J’ai une pièce avec Thierry Harcourt. Thierry avait mis en scène « Frères du bled » et, en ce moment, on a un projet avec lui, et avec Andréa Bescond, qui a joué dans « Les chatouilles » (d’Andréa Bescond, mise-en-scène Eric Métayer, ndlr), l’année dernière, qui est une fille sur laquelle j’ai craqué, et c’est moi qui ai été la démarcher pour jouer dans cette pièce, et le fait qu’elle ait accepté est un bonheur fabuleux ; donc, là, on en est à l’étape des lectures, on ne sait pas encore si on va trouver le théâtre et la production. J’ai la reprise de ce fameux « Cœur sauvage », qui est mis en scène par Frédéric Maugey ; je suis heureux, parce que c’est trois jeunes comédiens et il y a, entre autres, Léa Malassenet, la jeune fille qui jouait, ce soir, le rôle de « Hélène », donc, en plus, c’est très chouette, pour moi, parce que c’est la passerelle, entre les Ateliers et le milieu professionnel ; donc ce n’est pas moi qui mets en scène, et ce n’est pas moi qui produis, par contre, la compagnie avec laquelle je travaille, va coproduire le projet, et ils vont jouer, pendant trois mois, au Funambule, de janvier à avril ; et puis je suis en train d’écrire une nouvelle pièce pour les Ateliers, on va dire : autour de l’écologie, qui est un thème qui m’intéresse énormément en ce moment, et puis j’écris des longs-métrages, je travaille sur du cinéma en ce moment, et j’ai aussi un projet, peut-être d’unitaire, dont je ne peux pas parler plus… Beaucoup de projets, beaucoup de choses excitantes…

3 plusieurs commentaires

  1. Ce spectacle nous transporte dans un ailleurs spatio-temporel pétillant, plein d’humour et de magie. La mise en scène et le jeu des comédiens tout en énergie sont bluffants! Mention spéciale aux costumes qui sont sublimes!

  2. J’ai passé un excellent moment. La répartition des rôles se marie très bien aux jeux des acteurs. N’hésitez pas à aller le voir!

  3. Mise en scène riche, maîtrise remarquable de l’espace et du jeu. Toutes les ressources de la scène sont mises à profit. Le résultat est un spectacle efficace, qui touche et fait rire. Thisbé extraordinaire. Tout le monde est parfait dans son rôle.

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